WordAppeal

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Tribune
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Oct. 2017

by Ismaïl Diedhiou, Vice-Président Stratégie, WordAppeal

Sites pays ou localisation du .com ? Quelle stratégie pour s’adresser à ses audiences internationales ?

Pour fournir une expérience utilisateur simple et efficace, il faut aller à l'essentiel, et vite. Or mon essentiel n'est pas le vôtre ni celui de notre voisin. Les communicants l'ont bien compris, c’est pourquoi les entrées profilées se multiplient sur les sites institutionnels. Il reste cependant une dernière friction à éliminer, celle de la langue. Car même si l'anglais domine le village global, les internautes naviguent plus volontiers et plus longtemps dans leur langue maternelle. Faut-il simplement traduire son .com ou créer autant de sites que de pays stratégiques pour l'entreprise ? Quel est le meilleur arbitrage en termes de simplicité et de coûts ? Tour d'horizon des stratégies déployées par les grandes entreprises mondiales les plus en pointe sur le sujet.

BNP PARIBAS : .COM BILINGUE ET GALAXIE DE SITES PAYS

BNP Paribas adopte une stratégie typique parmi les entreprises du CAC 40. L’écosystème corporate est composé d’une part d’un site « global » en français et en anglais :

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D’autre part, d’une série de « sites pays » auxquels on accède par l’intermédiaire d’une page de type « présence dans le monde » :

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Au total, il s’agit de 69 sites pays en 10 langues (français, anglais, espagnol d’Espagne, espagnol d’Amérique Latine, portugais du Brésil, allemand, italien, chinois, coréen et japonais), la plupart construits sur une ergonomie et un design communs :

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Pourtant, lorsqu’on parcourt ces différents sites, on est frappé par une sensation d’hétérogénéité :

  • le template commun reste assez éloigné de celui du site global et paraît plus ancien ;
  • pour une même langue, les contenus « socles » comme la présentation du Groupe peuvent être
    différents ;
  • dans une même aire linguistique, certains sites sont en anglais, les autres dans la langue locale ;
  • quelques sites n’adoptent pas le design commun ;
  • tous les sites enfin n’ont pas la même vocation : certains sont corporate, d’autres sont des sites business, d’autres encore représentent une des marques du groupe.

Au global, l’expérience au sein de l’écosystème est assez fragmentée et moins riche ou fluide que sur le site global. L’organisation de BNP Paribas à dominante géographique (plus du tiers des membres du COMEX ont la responsabilité d’une zone spécifique) confère aux pays une autonomie qui favorise l’agilité mais représente également un frein à l’intégration. Par ailleurs, même si elle a des ambitions mondiales, la banque est encore essentiellement européenne. Elle réalise sur le vieux continent presque trois quarts de son produit net bancaire.

LVMH : UN .COM EN 6 LANGUES

Le leader mondial du luxe a adopté, au contraire de BNP Paribas, une stratégie d’intégration totale du discours institutionnel. LVMH propose en effet une .com unique, disponible en 6 langues : français, anglais, italien, japonais, russe et chinois.

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Hormis la rubrique « investisseurs » disponible uniquement en français et en anglais, tout le contenu du site est traduit dans les 6 langues et l’essentiel des contenus est mutualisé. Ce choix radical fournit au visiteur une expérience dans sa langue maternelle du même niveau que l’expérience « globale », parfaitement homogène et intégrée. LVMH a même pris le risque de dupliquer l’espace « investisseurs » en anglais pour l’intégrer à l’arborescence de chaque langue. Le visiteur retrouve ainsi automatiquement sa langue maternelle lorsque depuis cet espace, il passe dans une autre rubrique du site.

Pourquoi de tels efforts ? La réputation est un actif crucial pour LVMH. Pour reprendre ses mots : « Des produits ou une politique de communication en inadéquation avec l’image des marques, … ainsi que la circulation dans les médias d’informations préjudiciables pourraient affecter la notoriété des marques et entraîner un effet défavorable sur les ventes. ».

Par ailleurs et paradoxalement, l’effort de localisation requis de LVMH est moindre que pour BNP Paribas. Le groupe opère sur un marché concentré géographiquement : en 2016, presque 80 % des achats de produits de luxe se sont effectués dans 10 pays seulement (Etats-Unis, Japon, Italie, Chine continentale, Royaume-Uni, France, Corée du Sud, Allemagne, Hong Kong, Suisse). En proposant son site en 6 langues, LVMH couvre donc l’essentiel de sa clientèle mondiale.

L’ORÉAL : CHAMPION DU CORPORATE MULTILINGUE

Le leader mondial des cosmétiques tire quant à lui l’essentiel de ses revenus des marchés de grande consommation et ce dans 140 pays. La personnalisation de masse est donc au cœur de sa stratégie. C’est ce que L’Oréal appelle l’universalisation, c’est-à-dire la mondialisation dans le respect des différences. C’est pourquoi d’ailleurs le groupe est organisé géographiquement. Au sein du COMEX, un directeur général supervise ainsi chacune des 5 zones stratégiques du groupe.

Cette stratégie s’incarne dans l’écosystème digital corporate. Le .com se décline en 43 versions et 21 langues : 2 versions globales et 41 versions locales. À la différence de BNP Paribas, toutes ces versions sont intégrées au sein du même site, partagent un design ergonomique et graphique unique, ainsi qu’une grande part de leurs contenus.

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La personnalisation de masse s’appuie chez L’Oréal sur des contenus « master » :

  • les versions globales, française et anglaise, fournissent les contenus-socles les plus riches ;
  • les pays les plus importants du groupe reprennent tout ou partie de ces contenus-socles, selon leur langue, en anglais, en français ou dans une version traduite (Allemagne, Espagne, Chine, etc.) ;
  • les pays plus petits reprennent eux-mêmes tout ou partie des contenus-socles du pays « master » de leur aire linguistique, et ce dans une version « allégée ».

Par exemple, l’Allemagne est le pays « master » de la zone germanique. Ses contenus sont repris en partie et de manière allégée par l’Autriche et la Suisse :

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L’espace « carrière », commun à toutes les versions, est disponible en 8 langues (allemand, anglais, espagnol, français, italien, japonais, portugais, chinois et russe), au service là encore de la stratégie d’universalisation de L’Oréal.

LES GAFA : DES SERVICES MASSIVEMENT MULTILINGUES, UN DISCOURS CORPORATE CIBLÉ

C’est en grande partie sur la localisation de leurs services que Google, Apple, Facebook et Amazon construisent leur domination de l’Internet. Le moteur de recherche de Google est disponible dans une centaine de langues et plus de 115 pays. Facebook permet à ses 2 milliards de membres de s’exprimer dans 112 langues. Même Apple et Amazon qui ne se sont pourtant pas de purs services, proposent leurs sites de vente respectivement dans 119 pays/32 langues pour Apple et 12 pays/11 langues pour Amazon.

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Contrairement aux grandes entreprises européennes, les géants de l’Internet américain déploient un arsenal corporate beaucoup plus limité. Ils n’ont pas à proprement parler de site institutionnel. À l’exception de la communication financière, très fournie, l’essentiel du discours corporate tient en quelques pages logées sur les sites commerciaux dans une discrète rubrique « About us ».

Cela ne les empêche pas de poursuivre dans ce domaine la même stratégie de personnalisation que pour leurs services, quoiqu’à une échelle moindre. Les pages corporate de Google sont ainsi disponibles en 15 langues. Apple va plus loin et propose ses pages corporate en 27 langues, prenant en charge quasiment toutes les langues européennes. Mais la richesse du contenu est très variable suivant la taille du pays et les contenus sont très standardisés. Amazon propose moins de langues (7), mais le contenu est plus riche et très localisé. Le distributeur propose également un espace « carrières » en 11 langues. Quant à Facebook, il propose une « newsroom » disponible en 6 langues.

Les GAFA sont des entreprises jeunes, en forte croissance, dont la réputation se forge essentiellement dans l’utilisation de leurs produits, omniprésents dans la vie quotidienne des consommateurs. C’est pourquoi sans doute leur discours corporate est plus limité. C’est notamment le cas à l’international car ces géants mondiaux restent fondamentalement américains. Ils tirent encore l’essentiel de leurs revenus d’Amérique du Nord : 60 % pour Amazon, 50 % pour Google et Facebook, plus du tiers pour Apple, la plus ancienne des 4.

Leur discours corporate est donc plus ciblé. Il s’adresse avant tout aux médias et aux États des marchés internationaux les plus stratégiques pour eux. Il s’agit soit de faire face à la pression règlementaire et fiscale croissante de l’Union Européenne, soit d’assouplir les politiques protectionnistes des grands marchés d’Asie (Chine, Japon, Corée du Sud). C’est pourquoi ce discours tente avant tout de prouver la contribution positive des GAFA dans ces pays : création d’emplois, investissements, création d’entreprise, accélération de l’innovation, etc.

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Au total, même si la localisation représente une tendance lourde de la communication corporate, il n’existe pas de configuration unique applicable à tous. Chaque stratégie doit se construire en fonction des enjeux de développement commercial, de réputation, de recrutement de chaque entreprise mais également en fonction de sa structure organisationnelle propre. Car l’enjeu n’est pas tant de créer des versions localisées de son .com que de les faire vivre dans la durée.

Amanda Galsworthy, Fondatrice d’Alto International, et Ismaïl Diedhiou, Vice-Président Stratégie de l’agence, ont décrypté cette tendance lors de notre petit-déjeuner du 12 octobre 2017 chez Drouant. Récit de cet événement.